vendredi 4 mai 2007

4. Le dîner aux chandelles

Ces petits délices de moments qui précèdent un plat de résistance. Elle est là, en bas, elle m’attend dans sa voiture.

Elle a de grandes mains car c’est une grande fille. Un visage aux traits parfois masculins, surtout lorsque ses cheveux sont ramassés en arrière, un petit ventre, et un très léger embonpoint. Sa mâchoire inférieure est un peu proéminente et les incisives inférieures mal rangées. Je me sens comme un boucher.

Tout est dans ses yeux. Un tout petit strabisme et des coups d’œil furtifs lui assurent un charme indéniable. Je suis quand même bien déçu. Mais cela n’est que le physique. Ce n’est pas le plus important. Le plus important c’est son catholicisme chevronné dont nous parlâmes une moitié de la soirée. Le reste c’est l’importance que sa famille représente dans sa vie. Ses sourires magiques, je les ai rarement vu. Pas plus qu’une simple trace de coquetterie. Des boucles d’oreilles lui auraient bien fait. Elle reste belle. Je crois qu’elle voulait ne pas plaire et c’est réussi.

Raccompagné chez moi j’avais l’intention de lui offrir un collier de pierres polies destiné à une autre. J’ai longuement hésité entre lui présenter la chose comme un mensonge et lui assurer qu’il a été acheté à la montagne à son attention à Noel 2006, ou lui dire toute la vérité, qu’il était destiné à une autre qui n’a plus grande importance et qu’il me ferait plaisir de le lui offrir à elle maintenant. J’ai préféré lui dire simplement merci pour la soirée. Curieusement, je pense à elle depuis que je suis rentré. Comme épris d’elle. Pourtant, certains de ses gestes m’ont quelque peu gênés, comme ce briquet avec lequel elle ne cessait de brûler les emballages de nos paquets de cigarettes, cette bougie dans laquelle elle n’arrêtait pas de recueillir la cire avec son index gauche et jouer avec pendant que j’essayais de capter son regard définitivement absorbé par cette tâche ingrate. Ce cœur enfin qu’elle m’a fabriqué avec le plastique de l’emballage fondu. Ces trucs de gamins, ce gaspillage. Je tiens à mes briquets bordel! Quand à quatre heure du matin je serais en panne de feu, je penserais à toi bébé. Enfin, sa décision d’aller au cabaret en compagnie féminine et sans moi surtout. Pourquoi donc? Elle avait pourtant bien compris que j’aimais bien l’endroit. J’avais cru comprendre hier au téléphone qu’elle me gardait sa soirée. Mais non, elle avait deux autres rendez-vous. Un qu’elle a dû annuler et un autre qui lui a permis de me zapper. J’ai dis littéralement : « Excellente soirée, merci beaucoup, à la prochaine j’espère ». Je ne sais pas encore si j’ai menti en disant « excellente soirée ». De profil, dans son auto, elle redevient merveilleusement belle, comme si elle oubliait de s’enlaidir pour moi, et que ce faisant elle recouvrait toute sa superbe. En vérité il faut rendre hommage à son petit nez. Il n’est pas retroussé, il est aquilin je crois, mais tout petit et ses petits yeux jolis, séparés par une distance juste gratifient cet adorable minois d’une belle harmonie.

Je n’aime pas les filles avec de grandes mains. Dans le meilleur des cas je ne les prendrais pas souvent. Et nos enfants ils auraient des grandes mains aussi ? Mes filles ?

Plus que toute chose j’ai le désir de la revoir. Mais il faudrait rapidement passer aux actes. Je ne pourrais pas souffrir longtemps sa présence sans un rapport charnel. Ce soir je ne l’ai pas désiré. Mais simplement désiré toucher son ventre un peu bombé. Ses lèvres sèches ne donnaient pas envie de les embrasser. Et bien qu’elle fut légèrement saillante, sa lèvre inférieure, quand elle l’humectait avec sa langue, transformait son visage et ne manqua pas d’attraits. Une fois face à face, au tout début du dîner, j’ai bien failli commettre de lui dire qu’elle aurait dû mettre du rouge à ses lèvres. Je me suis bien rattrapé plus tard en lui demandant si finalement oui ou non elle s’épilait. C’est tout moi. Il faut toujours que je commette une bourde au pire moment — peu avant notre départ — alors que je m’en suis gardé toute la soirée. Je pense que ça ne l’a pas dérangé trop.

Et elle ? A-t-elle montré quelque signe de désir, quelque attirance envers moi ? Je pense qu’elle ne tenait pas même à ce qu’on se fasse la bise. Un moment en sa présence je me suis senti vieux et je n’y croyais plus du tout. Le charme ça se travaille. Comme lorsqu’elle a accroché sur mon « accent canadien », et que j’ai détourné la conversation. En effet je préfère ne pas parler de cet ogre pour le moment ; il m’a tout pris. Mais bon. Il se trouve qu’elle aime les voyages et le Canada semblait l’intéresser. Mais de quoi aurais-je pu parler ? De mes échecs, de mes études ? Des meilleurs moments ? Ceux où j’avais décidé de vivre pleinement ma jeunesse après avoir quitté mon ex ? Lorsque je changeais d’amante trois fois par semaine et que je buvais de la bière plus que l’eau. Cette période qui fera probablement de moi un mari infidèle, un amateur de variété ?

Je ne sais plus. Je l’ai attendue quatre mois durant et elle me plait assez peu. J’ai pourtant peur du jour de son départ dans huit mois. Si elle ne tombait amoureuse du pays et de moi quel avenir aurions-nous ? Je veux dire dans le meilleur des cas. Et puis comment vivre avec une fille aussi demandée socialement ? J’aurais beau ne pas être jaloux, il y a des moments dans la vie… Des moments de doute, et des moments de tentation. Et nos enfants, ils auraient une double éducation religieuse ? Ses parents le prendraient bien mal. Les miens non. Et que viennent faire de telle idées alors même qu’elle m’a maintes fois signifié son refus de me prendre pour simple amant. Elle dût avoir raison, ayant affirmé que j’aimais le refus et que « c’était mon orgueil qui parlait ». Peut-être, et après ? Je l’aime, mon orgueil.

La contacter sera possible dans trois heures. Je suis curieux de savoir ce que j’aurais à lui dire. Probablement lui rendre service pour me faire gentil et, je ne devrais pas le dire, lui faire sentir qu’elle a une dette envers moi. C’est pourtant universel : quand on ne plaît pas par soi-même, on se cherche d’autres qualités, qu’on les ait ou pas ; et on devient inévitablement débonnaire.

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