vendredi 4 mai 2007

2. La période de doute

Je dois m’avouer vaincu. Je dois admettre que tu as résisté à toutes mes avances. L’ivresse enivrante du début laisse aujourd’hui place au doute, à la fragilité et à l’attente, péché de l’amour. Le mal-être remplace l’envoutement, avec un sentiment permanent de désir mêlé de frustration. Une lourde mélancolie maladive me pèse, plus forte que l’amour légère et passagère de l’éclosion. Les fleurs se fanent aisément. Avec toi, toute mon enfance s’abat sur moi comme une cargaison de souvenirs lointains. Et je suis là contemplant l’œuvre de ma vie empêtré jusqu’au cou encore plus incapable d’avancer qu’avant. C’est un brutal retour. Une immobilisation néfaste, un sentiment destructeur et rétrograde. Non je dois renoncer à toi. Après tout, je ne manque de rien. Mais pourtant, tu es là, périodiquement. Sinon ivre, je pense à toi, sinon endormi, je rêve à toi, si tu n’es pas là, tu es partout. Dans cette cigarette que je fume et que tu fumes aussi. Dans cette bière que nous avons bue ensemble au bistrot. Je crains de commencer à aimer ton indifférence plus que tes charmes réels. L’abandon, disait Proust, rend plus amoureux que l’être.

Tous les matins que Dieu fait, j’ouvre le programme de clavardage et attends secrètement ton entrée en ligne. Quand parfois tu te connectes, je ne manifeste pas ma présence et demeure masqué des heures durant, parfois un jour. Je le sais, je n’ai rien à dire d’intéressant car toute la société condamne ma condition d’être désœuvré. Alors j’attends vainement la nuit impatiemment que nous nous revoyions et que l’alcool nous remette dans les mêmes dispositions que le premier soir, mais non, rien de tout cela n’aura lieu. Si même nous nous revoyions, je ne serais plus le même, ni toi, ni nous. Ce nous que je suis seul à prononcer, ce nous qui nous sépare depuis le début. Jamais je ne t’ai désiré réellement. Ce doit être ça l’amour, penser à toi sans te sexualiser.

Mais non, plus rien de ces amours délicieuses et sans amour. Ne reste que l’obsession, la grande course au plaisir quand le plaisir n’est plus. Pourtant cette inactivité m’est très précieuse pour le moment. Jamais je n’ai eu autant besoin d’isolement et de temps. Je me recueille, je lis, j’écris, je me retrouve peu à peu. Tantôt je me suis projeté quelques mois en avant ; je te rencontrais sur cette terrasse lumineuse en présence ma fiancée radieuse et je te trouvais terne, adolescente, peu attrayante, nous échangeâmes tous deux salutations et courtoisies, et nous partîmes elle, et moi sans conviction. « L’amour n’existe pas » avions-nous convenu toi et moi. Entre nous il n’existera donc jamais. Aucun regret, le simple et léger effluve d’un souvenir dont je ne sais plus s’il est agréable ou non. Le temps d’y penser et l’oubli le submerge. Au loin nous voyons les avions décoller les uns après les autres. Un moment j’en oublie qui ma femme et moi étions venus raccompagner à l’aéroport. Ma femme… Tiens, j’ai déjà oublié que nous n’étions que fiancés. Peut-être bien toi finalement, ou ton souvenir ? Toi qui aime tant les départs ; un dernier hommage en signe de respect, un soupçon d’admiration, un air d’incompréhension. Le monde est bien trop petit. Notre rencontre n’avait pas lieu d’être. Dire que je voulais que ce soit toi, ma femme… Voilà c’est toujours ainsi. Cette tension entre l’attente d’un côté et le harassement de l’autre. Non, notre relation ne sera jamais qu’un recueil de pensées et d’aphorismes, d’espoirs rompus et de vains souvenirs. Un recueil que tu ne liras jamais sans doute. Tu t’en iras, j’aurais le souvenir d’avoir aimé sans foi, gage d’un éternel recommencement. L’espoir fait vivre, dira-t-on.

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